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24 novembre 2019

L’embrassement


Il faudrait pouvoir tout embrasser.

Je suis né du cosmos, j’arrive du fond des âges, alors pourquoi suis-je trop petit pour étreindre l’infini ? Je voudrais pouvoir tout enlacer, ouvrir mes bras pour l’immensité.

Les vagues qui vont, les vagues qui viennent, le jour qui joue avec la nuit, l’horloge céleste qui avance sans tic-tac, tout nous échappe, tout nous dépasse, et les bras qui veulent se resserrer sur la totalité n’étreignent que du vent.

Il suffit, me dit alors le sage, de ne penser qu’à l’un, de n’embrasser que l’une. Il est déjà un bien grand privilège de pouvoir accueillir quelqu’un ou bien quelqu’une, de pouvoir les serrer doucement un peu entre nos bras. Il est beau de savoir qu’il peut y rester, là, qu’elle peut s’y blottir, ici, même juste un moment. Pourquoi en vouloir plus, me répète le sage ? Ne vois-tu pas que c’est un univers entier que tu tiens dans tes mains ?

Je sais bien tout cela. La vie m’en fait cadeau. Enfants, femmes, ou amis, tous et toutes ont comblé le vide de mon âme en venant se poser un instant contre moi.

Et pourtant.

Il faudrait pouvoir tout embraser. Allumer les étoiles comme veut le poète. Incendier le ciel comme fait le soleil. Brûler la vie par tous les bouts avant l’heure de nos cendres. Oui, je veux tout, et même son contraire. Pourquoi s’arrêter là quand le reste est tout près ?

Alors le sage s’éloigne, démuni, il s’enfuit. Je reste là, les bras ballants, le regarde partir. Il me tourne le dos et marmonne
« Il est fou ». Et moi Je songe, immobile. Il était mon dernier ami. Je voudrais le retenir. Lui dire : « Tu as raison. Ce n’est pas compliqué. Il faut se contenter, j’en conviens. Enfin. »

Mais me voilà encore partant bien au-delà. Je divague à nouveau, happé par le chaos, l’ouragan des possibles. La valse recommence et les étoiles dansent. Je suis ivre de vouloir boire tout l’univers.

S’avance un savant, lunettes et mèche folle. Probablement a-t-il eu un peu pitié de moi. Il m’arrête dans ma course et me dit calmement « Tu peux vouloir toujours embrasser l’absolu. Tu devrais d’abord réviser notre fameuse loi qui fonde cet univers que tu voudrais enclore dans le cercle de tes bras. » Curieux et impatient, j’ai hâte de connaître la suite du propos. Il se tait un instant, pour se faire désirer, et ajoute en riant, en savant facétieux : « La relativité ». Il s’éloigne lui aussi. Il a fait sa partie.

La nuit arrive. Je reste seul, avec mes rêves de totalité. Devant moi un écran et des mots sur la page où clignote un curseur. Ni le sage ni le savant n’ont pu m’apaiser. Il y a là vraiment de quoi désespérer. Mon cas est incurable. Je reste condamné.

Et pourtant.

Dans cette nuit profonde où hurle un grand vent, je retrouve l’espoir d’échapper à la peine : amertume à perpétuité. Est-ce l’étoile là-haut, perché au ciel d’hiver, ou est-ce la petite lampe qui éclaire mon clavier ? Quelle est donc la lumière qui, faute de vérité, m’a soufflé cette idée ?

Elle est tellement simple ! Et si donc j’essayais d’embrasser cette totalité entre les quatre bords d’une page de papier ? Il suffit de quelques mots, n’est-ce pas ? Lesquels ? Je vous le dirai quand j’en aurai fini. Ce ne devrait pas être trop long.

Rendez-vous dans l’éternité.

Ive
23-24 novembre 2019

08:26 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)

17 novembre 2019

La chanson inachevée

Si tu as des chemins, des livres, des aimants, des amis : dis merci à la vie. Et si tu peux encore marcher, penser, caresser, converser, n'est-ce donc pas assez ?

Non. La liste s'allonge : un toit et du soleil, une assiette de pâtes, un verre de bon vin, un chêne dans le jardin.On croit que c'est fini, mais encore on écrit : être ailleurs quelquefois, partir ici ou là, de l'art, de la beauté, le rire d'un enfant. Il faut se contenter. Pourtant on continue.

On veut l'épaule nue, le printemps revenu, les paysages vus. On devrait arrêter, mais nous sommes lancés. Dans l'arbre on veut aussi des oiseaux bons chanteurs. N'oublions pas non plus la musique et nos pleurs. On ne peut tout à fait congédier la douleur. Le vent qui souffle fort, cet autre enfant qui dort, cette femme allongée, la lumière en été, notre âme qui divague, notre corps qui s'exalte, les folies d'un instant, la lune en croissant. L'orage qui éclate, aussi, car que vaudrait la vie sans foudre et sans cris ?

La liste qui s'allonge semble illimitée. On en vient aux grands mots : l'amour et l'amitié, le présent, le passé. Un ensemble, un détail, une image choisie, un souvenir précis, tout réclame sa place, tout cherche à s'inviter. Moi qui croyais pouvoir alléger mes bagages, me voici rattrapé par le poids de mon âge.

Alors sur mon écran ou sur ma page blanche, moi qui mourrai demain, j'écris sans m'arrêter, et sans me soucier, mon art d'être vivant. Homme tant que je peux, poète quand je veux, j'avance, chanceux, jusqu'au bout de ce chemin mystérieux.

Et si je ne chante pas toujours un refrain joyeux, ne vous inquiétez pas. J'ai dans la tête une guillerette ritournelle que je garde pour les jours obscurs. C'est une chanson inachevée, à mille et un couplets. Je la compose chaque jour. Elle commence ainsi : "Si tu as des chemins, des livres, des aimants, des amis : dis merci à la vie."

Ive
15 novembre 2019

20:08 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)