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17 juillet 2023

Inutile

 

Donnez-moi un pinceau : nul oiseau sur la toile. Donnez-moi une guitare : nul accord ne résonne. Donnez-moi un bateau : je pars à la dérive. Donnez-moi un marteau : je me tape sur les doigts.

Je dois l’avouer : les mots m’ont sauvé de la nullité.

Je serais bien incapable de construire ma maison. Même une cabane. Merci au maçon. Heureusement le boulanger fait mon pain, le paysan sème le grain et récolte la moisson. Merci au jardinier qui vient tailler mes haies et au plombier qui débouche mon évier.

Les mots m’ont sauvé de la nullité.

Je ne répare rien, je bricole si mal, je cuisine si peu. Suis-je donc à ce point paresseux ? Dois-je en rire, dois je en pleurer ?

Les mots m’ont sauvé de la nullité.

Je ne sais pas danser le tango. Je ne sais pas nager sous l’eau. Je ne suis pas du tout mécano. Heureusement il y a les mots.

Quand j’étais trop petit ils m’ont sauvé des grands. Dans ce monde de brutes qui n’était pas le mien ils furent  mes seules armes.
Quand enfin je fus grand j’attendais qu’ils me fassent des ailes de géant. J’ai cru pouvoir voler. Je me suis écrasé contre la réalité. J’ai compris que les mots n’empêchent pas la gravité. Même un poète, quand il tombe du ciel, a besoin d’un parachute.

Je les aime, je les hais. Je sais ce que je leur dois mais je sais aussi ce qu’ils m’ont coûté. 
Drôle d’amour, en vérité. Mille fois j’ai voulu les quitter. Mille fois je les ai retrouvés pour mieux les manier. Alors j’en ai fait mon métier. Que pouvais-je faire d’autre puisque sans eux je ne suis rien, ou bien si peu.

Les mots m’ont sauvé de la nullité, et peut-être garderont-ils la trace de mon bref passage sur cette planète où j’ai cultivé mon inutilité. Mais comment faire dans cette bouillie indéfinie d’une infinité de mots à tout moment proférés sur cette planète futile et bavarde ?

Il faudrait pour cela que je laisse quelques mots vraiment immortels !

Quels seront-ils ? Il suffirait par exemple d’un tout petit poème de rien du tout. Trois vers à peine. Ce serait bien. Un seul petit poème de 17 syllabes maximum. Juste une respiration. Tout petit, je vous dis ! Pourvu qu’il résonne encore dans les siècles à venir et qu’il porte un message à l’humanité de demain. Voire même à une civilisation venue d’ailleurs. Je me suis toujours rêvé en facteur cosmique. Mon lecteur idéal, c’est un extra-terrestre.

Ce poème infinitésimal, ridiculement microscopique au regard de toutes les productions humaines, resterait présent dans les mémoires, immortalisé par les générations à venir qui se le transmettraient comme un précieux talisman. Et sans attendre les extra-terrestres ! Ma lectrice idéale, c’est une terrienne…

Mes mots pourraient ainsi me sauver une deuxième fois de la nullité en m’évitant l’oubli du pauvre mortel !

Mais s'ils n'y parviennent pas est-ce vraiment si grave ?

Ces poèmes minuscules je les ai écrits quelquefois sur le sable, sur une plage au bord de la mer ou sur une dune au milieu d’un désert. Les vagues ou le vent  sont venues les effacer. Rien ne fut plus beau que cette écriture éphémère. De tous mes souvenirs il sont des plus indélébiles. Les mots ont disparu mais l’instant a été vécu, intensément, poétiquement.

Qu’importe si ce ne sont pas mes traces que l’on suivra demain. Nul besoin de gloire posthume. L’important est d’avoir marché. Vous pourrez toujours mettre vos pas dans les miens, même sans leur empreinte, si le cœur vous en dit. Mais vous serez sûrement occupés à tracer votre propre chemin, et c’est bien mieux ainsi.

Je n’ai pas prévu de tombeau pour mon corps trépassé. Je préfère le grand vent pour mes cendres dispersées. J’imagine tout de même un endroit, abrité de la pluie en automne et à l’ombre l’été, pour qu’on puisse s’y reposer, où les vagabonds de passage pourront lire ma noble épitaphe, cette belle formule que m’a soufflée Pablo le poète : « J’avoue que j’ai vécu ». Cela suffira à donner les clés d’une autre forme d’infinitude. C’est bien assez. Je serai passé. Nullement indifférent à la vie pleine et entière. Les mots m’auront accompagné. Pour eux, comme pour moi, l’éternité est inutile.

 

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27 mai 2021

Au pays des sources

36703336-C911-4D5F-A65F-EDD43C0AD7E1.jpegLes  chemins étaient charmants et les pentes douces. Il y avait des pierres plantées, des rochers perchés, des sources cachées, de l’eau vive, des rivières naïves, des pics pas pointus, des landes souriantes, et même des forêts sans loup.

Nous nous demandions quel géant joueur avait jeté au hasard du paysage ces blocs de pur granit.

Plus modestement nous ajoutions en passant notre pierre sur les petits tas de cailloux au bord des sentiers.

Le soleil que l’on n’attendait pas était venu rien que pour nous, et nous allions libres comme le vent sous un ciel couleur bleu sud et des bouts de nuages blancs, par petites touches,  complétaient  le tableau.

Il y avait l’espace que l’on embrassait, l’air que l’on buvait, la terre que l’on foulait, et ces fleurs, des jaunes, des blanches, des bleues, que  l’on caressait des yeux.

Il y avait les amis, de longue ou fraîche date, ce petit groupe dont j’étais si fier d’être le guide en territoire connu.

Il y avait des rires, beaucoup de rires,  et tant de bavardages au rythme de nos pas, conversations d’une extraordinaire futilité ou parts d’intimité offertes en confiante amitié.

Il y avait aussi l’amour d’une vie, dans nos deux sacs à dos une presque existence, orages compris, tous ces jours, toutes ces nuits, ce long cheminement vers la paix de nos cœurs sinon celle des corps. Que ce bagage, en ces heures tendres, semblait léger !

Il y avait le passé que je retrouvais, les souvenirs de vacances, ces jours heureux à jamais présents, mon enfance, l’enfance de mes enfants, ce pays de Lozère où sont mes  racines enfoncées.

Il y avait la beauté que certains voulaient formuler pour la remercier et que d’autres n’osaient pas nommer de peur de l’effaroucher.

Il y avait même des embrassades spontanées, câlinothérapie  pour fêter le sommet, amicale mêlée en toute simplicité.

Et le soir sur les tables il y avait Tariquet et des îles flottantes. Et on flottait un peu, nous aussi, en regagnant nos chambres ...

 

Le lendemain de ces beaux jours, j’étais à nouveau dans le car qui m’amène au travail dans la grande ville. Changement radical de décor.

Pour adoucir la transition j’ai mis dans mes oreilles casquées la chanson que nous avions la veille écoutée ensemble à l’orée d’un bois de hêtres, regroupés sur un bout de clairière dans la lumière déclinante, peu avant le retour au village.

En repensant à tout cela pour en faire des mots, l’émotion fut trop forte : j’en ai pleuré, vraiment. Oh certes, ce fut très bref. Mais c’étaient  bien des larmes, là, dans ce car urbain,  sur mes joues un peu rougies la veille par le soleil du Mont Lozère.

Avoir été vivant en si bonne compagnie, avoir marché en si beaux paysages, avoir pu partager l’amour de ce pays, avoir goûté chaque minute et chaque pas : voilà ce que ces larmes ont dit furtivement.

D’un geste de la main je les ai essuyées, mais je ne les oublierai jamais.

Quelle chance nous avons, amis, amour, de connaître, et pour toujours, ces sources de joie pure !

Yves Gerbal, 27 mai 2021

 

18 décembre 2019

Chimères

Que reste-t-il quand tout est emporté ?

Tout ne disparaît pas, il subsiste dans l’air des cordes invisibles qui gardent la mémoire de tout ce qui s’en va. Elles vibrent partout mais nous, pauvres humains, nous ne connaissons pas la bonne longueur d‘onde. Nous n’avons pas non plus les antennes adéquates. Nos oreilles sont sourdes à cette musique, et nul autre organe ne capte ces messages. Si c’est un créateur qui nous a conçus, pourquoi n’a-t-il rien prévu ? L’ a-t-il fait tout exprès ? A-t-il vraiment voulu toujours nous voir, nous les pauvres vivants, tendre toutes nos forces vers un ciel qui jamais ne nous répond ? Condamnés à errer, en quête de consolations, d’un signe improbable à un espoir déçu…

Pour moi, et j’en suis sûr, le Rien n’existe pas. Nombreux sont mes camarades de pensée qui m’en ont convaincu : tout ce qui a vécu vivra. Je me souviens de ce cher Denis Diderot qui imaginait le jour où ses molécules pourraient bien retrouver celles de son amante dissoute. Ou Charles Baudelaire songeant devant une charogne à la forme et à l’essence divine de ses « amours décomposés ». Ou encore, Béroul le moyen-ageux racontant la ronce qui jaillit de la tombe de Tristan pour s’enfoncer dans celle d’Yseult. Et mon ami vénitien Giuseppe Casanova qui écrit : « Je baise l’air, croyant que tu y es ».

Les sceptiques diront : tout cela n’est qu’une belle illusion. Que valent ces amours disparus sans corps et sans esprit ? Comment imaginer la vie après la vie sans tomber dans le puits de la croyance vaine ? Le doute est essentiel et nous maintient penchés entre deux vérités plutôt que droit perché sur une certitude. Pourvu qu’elle ne mène ni vers un Dieu tyran, ni vers la foi guerrière, il n’est pas interdit de suivre une chimère.

La mienne est celle-là : nul paradis, nul enfer, juste de la matière qui change de registre. Des formes se défont et puis se recomposent. Derrière sa façade d’horloge bien réglée, l’univers est toujours un grand chambardement d’où viennent ces vibrations qui sont autour de nous sans que nous le sachions.

Que dire alors des mots que nous lançons dans l’air ?
Ils vont vivre toujours puisqu’ils n’existent pas. Chacun est immortel. Il faut bien les choisir. Soignons les avant de s’en aller : ils seront nos éternels messagers.

Je ne suis qu’un modeste disciple de la muse poésie. Les mots sont la matière dont je sculpte des formes. J‘émets une hypothèse. Si vous recevez quelques uns de mes mots comme une balle attrapée, c’est un jeu, ou une fleur cueillie, c’est un don, et que vous les gardez dans votre cœur, dans votre tête, ou même seulement dans vos mains, si vous les emmenez dans vos vies, même par mégarde, même sans vous rendre compte qu’ils vous sont accrochés, j’aime imaginer, autre chimère bien innocente, qu’ils vibreront eux aussi dans le silence et qu’un jour lointain un autre pauvre humain enfermé dans son corps recevra par les formes décomposées de ces molécules de mots de la matière pour sa pensée, de l’énergie pour son existence.

Alors je vous en prie, amis qui m’écoutez, prenez et gardez tout. Mes mots, mes phrases, emportez les. C’est ce que j’ai fait de mieux. Qu’ils soient vos compagnons dans l’obscurité de la mélancolie ou dans la lumière de la joie, sur vos sommets de plénitude comme dans vos traversées du vide, dans l’éreintement ou dans l’extase. Et peut-être quelquefois en leur donnant ainsi une nouvelle vie, vous vous souviendrez d’un petit poète chimérique qui croyait, pure folie, à l’éternité de la poésie.

Ive
16 décembre 2019

11:44 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)

Le désir de désert

Déserter.
Partir vers les marges blanches ou ocres, de sable ou de sel, les terres inhabitées où l’homme ne fait que passer.
Avancer lentement vers les horizons courbes des grandes dunes aux lignes pures.
Traverser les plaines plus que vastes, aux mille nuances de gris.
Entrer dans un espace sans limites que l’homme ne fait qu’effleurer.
Caresser la terre avec nos pas, la peau du monde sous laquelle bat son cœur volcan.
Retrouver les étoiles dans la nuit absolue, me faire un drap de la voûte céleste, me vêtir de vent, goûter au silence oublié.

Je veux déserter.
Je veux fuir la laideur des cités, leurs cris, leurs fausses lumières, leurs regards mornes.
Je veux quitter tous les champs de bataille, abandonner tous les combats, le cercle infernal des vindictes et des vanités.
Je veux laisser derrière moi mes pensées obscures et mes ambitions inutiles.
Je veux me dépouiller, m’alléger, toucher aux racines du ciel.
Je veux tendre vers l’infini en laissant mon esprit flotter dans la solitude, chercher l’invisible derrière le mur de mon regard.
Je veux marcher dans l’immensité pour soupeser mon âme.

Je déserterai.
Je laisserai derrière moi la foule et la folie des hommes.
Je penserai à mes semblables, à mes faux-frères et à mes vrais amis.
Je me souviendrai de mes errances, de mes frottements à la dureté des sentiments et aux douceurs passagères.
Je sourirai de mes danses futiles et mes bonheurs intermittents.
Je songerai à mes amours, au temps de la légèreté, au temps des trahisons, au temps des corps à corps comme autant de victoires sur le temps qui passe.
Je me transporterai au paradis de mon enfance et je me redirai les histoires qu’on me racontait.

Je partirai.
Et même dans ce désert désiré je ne trouverai pas la paix.
Je partirai vers un faux néant qui ne me comblera pas.
Je partirai.
Pour revenir.

Ive
4 décembre 2019

11:41 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)

Le sage et l'oiselle (fable)

Le corps est las, hélas ! Voyez ces cicatrices sur ma peau : ce sont des éclats de vivre qui ont laissé leurs signatures. Voyez ces sillons au bord de mes yeux : ce sont mes nuits trop brèves qui les ont dessinés sur mes tempes. Ecoutez mon cœur : il bat au rythme irrégulier des journées trop chaotiques. Mon ventre garde la mémoire des coups d’épée de l’anxiété. Mon dos reste chargé du poids des douleurs et des deuils. Voyez ce corps fatigué, ce visage où s’inscrivent les marques de tous les jours trop passés.

Le maître me fait la leçon. "Tout s’use et surtout si tu abuses. Tu creuses tes rides et ton tombeau." Paroles d’ascète, sentences du sage, qui trépasse juste après. A quoi sert de s’épargner puisqu’on est condamnés ?

Pour mon repos non éternel je pars m’allonger sous le ciel. Un oiseau plane à ma verticale. Ou bien est-ce une oiselle ? J’écoute son chant. C’est une ode à la manière ancienne, un blason.

"Voyez la finesse de ces attaches, et la sveltesse de ces membres. Voyez la couleur dans son regard et la gourmandise sur ses lèvres. Voyez la rondeur de ses fesses, le galbe de ses jambes, et les boucles qui couronnent encore son auguste crâne. Voyez cette allure sans âge, cette fière posture. Quelle silhouette, mazette !"

Serait-ce un planeur ricaneur ? J’ouvre ma large bouche et je dis au flatteur : « Grand merci, bel oiseau, mais vous en dites trop ». Je n’en pense pas un mot. Je rentre le ventre en serrant les abdos. Il n’a rien dit de mon cerveau.

Il a suffi de quelques mots. Je me remets en marche, toute fatigue oubliée. Un pied devant l’autre. Je ne me lasse pas de cette vieille mécanique bien huilée. Le volatile en couleurs qui a dit mon corps beau continue de voler au-dessus de ma tête. Je distingue un chant nouveau, juste une trille, un seul refrain repris à tire d’ailes. Que me dis-tu, mon bel oiseau ? Je m’arrête au coin du paysage pour l’écouter. Mon ouïe est restée fine :
« Mieux vaut s’user que se rouiller». Quelle bonne nouvelle ! Je repense à mon maître figé dans son tombeau. Ma main gauche tremble un peu. C'est la faute à mon cerveau.

Je scrute encore le ciel. C’est une oiselle ! Et si je m’envolais vers elle ? J'ouvre les bras. Ca ne suffit pas. Je n'ai pas d'ailes. Mais je souris. J'ai trouvé une autre manière de creuser mes rides.

Ive
7/9 décembre 2019

11:41 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)

24 novembre 2019

L’embrassement


Il faudrait pouvoir tout embrasser.

Je suis né du cosmos, j’arrive du fond des âges, alors pourquoi suis-je trop petit pour étreindre l’infini ? Je voudrais pouvoir tout enlacer, ouvrir mes bras pour l’immensité.

Les vagues qui vont, les vagues qui viennent, le jour qui joue avec la nuit, l’horloge céleste qui avance sans tic-tac, tout nous échappe, tout nous dépasse, et les bras qui veulent se resserrer sur la totalité n’étreignent que du vent.

Il suffit, me dit alors le sage, de ne penser qu’à l’un, de n’embrasser que l’une. Il est déjà un bien grand privilège de pouvoir accueillir quelqu’un ou bien quelqu’une, de pouvoir les serrer doucement un peu entre nos bras. Il est beau de savoir qu’il peut y rester, là, qu’elle peut s’y blottir, ici, même juste un moment. Pourquoi en vouloir plus, me répète le sage ? Ne vois-tu pas que c’est un univers entier que tu tiens dans tes mains ?

Je sais bien tout cela. La vie m’en fait cadeau. Enfants, femmes, ou amis, tous et toutes ont comblé le vide de mon âme en venant se poser un instant contre moi.

Et pourtant.

Il faudrait pouvoir tout embraser. Allumer les étoiles comme veut le poète. Incendier le ciel comme fait le soleil. Brûler la vie par tous les bouts avant l’heure de nos cendres. Oui, je veux tout, et même son contraire. Pourquoi s’arrêter là quand le reste est tout près ?

Alors le sage s’éloigne, démuni, il s’enfuit. Je reste là, les bras ballants, le regarde partir. Il me tourne le dos et marmonne
« Il est fou ». Et moi Je songe, immobile. Il était mon dernier ami. Je voudrais le retenir. Lui dire : « Tu as raison. Ce n’est pas compliqué. Il faut se contenter, j’en conviens. Enfin. »

Mais me voilà encore partant bien au-delà. Je divague à nouveau, happé par le chaos, l’ouragan des possibles. La valse recommence et les étoiles dansent. Je suis ivre de vouloir boire tout l’univers.

S’avance un savant, lunettes et mèche folle. Probablement a-t-il eu un peu pitié de moi. Il m’arrête dans ma course et me dit calmement « Tu peux vouloir toujours embrasser l’absolu. Tu devrais d’abord réviser notre fameuse loi qui fonde cet univers que tu voudrais enclore dans le cercle de tes bras. » Curieux et impatient, j’ai hâte de connaître la suite du propos. Il se tait un instant, pour se faire désirer, et ajoute en riant, en savant facétieux : « La relativité ». Il s’éloigne lui aussi. Il a fait sa partie.

La nuit arrive. Je reste seul, avec mes rêves de totalité. Devant moi un écran et des mots sur la page où clignote un curseur. Ni le sage ni le savant n’ont pu m’apaiser. Il y a là vraiment de quoi désespérer. Mon cas est incurable. Je reste condamné.

Et pourtant.

Dans cette nuit profonde où hurle un grand vent, je retrouve l’espoir d’échapper à la peine : amertume à perpétuité. Est-ce l’étoile là-haut, perché au ciel d’hiver, ou est-ce la petite lampe qui éclaire mon clavier ? Quelle est donc la lumière qui, faute de vérité, m’a soufflé cette idée ?

Elle est tellement simple ! Et si donc j’essayais d’embrasser cette totalité entre les quatre bords d’une page de papier ? Il suffit de quelques mots, n’est-ce pas ? Lesquels ? Je vous le dirai quand j’en aurai fini. Ce ne devrait pas être trop long.

Rendez-vous dans l’éternité.

Ive
23-24 novembre 2019

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17 novembre 2019

La chanson inachevée

Si tu as des chemins, des livres, des aimants, des amis : dis merci à la vie. Et si tu peux encore marcher, penser, caresser, converser, n'est-ce donc pas assez ?

Non. La liste s'allonge : un toit et du soleil, une assiette de pâtes, un verre de bon vin, un chêne dans le jardin.On croit que c'est fini, mais encore on écrit : être ailleurs quelquefois, partir ici ou là, de l'art, de la beauté, le rire d'un enfant. Il faut se contenter. Pourtant on continue.

On veut l'épaule nue, le printemps revenu, les paysages vus. On devrait arrêter, mais nous sommes lancés. Dans l'arbre on veut aussi des oiseaux bons chanteurs. N'oublions pas non plus la musique et nos pleurs. On ne peut tout à fait congédier la douleur. Le vent qui souffle fort, cet autre enfant qui dort, cette femme allongée, la lumière en été, notre âme qui divague, notre corps qui s'exalte, les folies d'un instant, la lune en croissant. L'orage qui éclate, aussi, car que vaudrait la vie sans foudre et sans cris ?

La liste qui s'allonge semble illimitée. On en vient aux grands mots : l'amour et l'amitié, le présent, le passé. Un ensemble, un détail, une image choisie, un souvenir précis, tout réclame sa place, tout cherche à s'inviter. Moi qui croyais pouvoir alléger mes bagages, me voici rattrapé par le poids de mon âge.

Alors sur mon écran ou sur ma page blanche, moi qui mourrai demain, j'écris sans m'arrêter, et sans me soucier, mon art d'être vivant. Homme tant que je peux, poète quand je veux, j'avance, chanceux, jusqu'au bout de ce chemin mystérieux.

Et si je ne chante pas toujours un refrain joyeux, ne vous inquiétez pas. J'ai dans la tête une guillerette ritournelle que je garde pour les jours obscurs. C'est une chanson inachevée, à mille et un couplets. Je la compose chaque jour. Elle commence ainsi : "Si tu as des chemins, des livres, des aimants, des amis : dis merci à la vie."

Ive
15 novembre 2019

20:08 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)

09 octobre 2015

Philosophie minuscule 1

 Chercher midi à quatorze heures

    Midi est midi. Pourquoi le chercher à une autre place sur le cadran des heures où s’inscrivent les repères de notre temps, de ce temps tel que nous avons choisi de le baliser et de le formuler ? Quête insensée que celle-là : quand il est quatorze heures il n’est pas midi.

Pourtant, ce n’est pas folie. Ce midi n’est pas absolu : il ne coïncide pas toujours avec le milieu du jour et le soleil à son zénith. Selon les saisons, et selon les changements d’heures, midi est plus ou moins le midi. Deux heures de décalage, ce n’est pas grand chose, et il n’est pas déraisonnable alors de prétendre trouver midi à quatorze heures.

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02 octobre 2015

La Philosophie Minuscule

La philosophie minuscule

Premier manifeste

 

 

« Prends ces mots dans tes mains et vois comme ils sont faits » (Queneau)

 

Le philosophe minuscule regarde les mots et les notions au microscope de la pensée pour les agrandir en concepts. Il se caractérise par l’attention qu’il porte à des sujets parfois dédaignés par la « grande » philosophie et relégués trop souvent hors du champ de la réflexion méthodique.

 La philosophie minuscule a pour ambition de mesurer et de baliser au moins quelques infimes portions dans l’infini du savoir.  Etudier l’atome ne vaut pas moins que regarder l’étoile.  Il ne s’agit pas de grossir artificiellement ce qui s’avère peu signifiant. Le microbe reste un microbe, même sous le microscope.

 La philosophie minuscule est d’abord de la philosophie : elle exige rigueur et méthode, elle écarte tout préjugé et opinion a priori. Son projet est le même que toute science : connaître et comprendre la vie. Avec Montaigne elle se demande « Que sais-je ? ». Avec Kant elle s’interroge « Qu’est-ce que l’homme ? ». 

 La philosophie minuscule ne recule devant aucun sujet. L’éclectisme de ses notions, leur trivialité, leur apparence « non philosophique », leur ancrage dans le quotidien, en font une branche de la « pop philosophie » évoquée par Gilles Deleuze et pouvant être définie comme une manière de concevoir « la façon dont l’essentiel se distribue dans l’accessoire » pour « intensifier » et « démocratiser » la pratique philosophique.  Il n’y a pas de « petit » sujet : le sport, la gourmandise, la douche et le bain, la voiture, le bricolage… Tout est question d’échelle, de proportion, de mise en perspective. Songeons à Roland Barthes et à ses fameuses « Mythologies », ou au poète Francis Ponge et son « Parti pris des choses », éloges des légendes de l’ordinaire et des objets sans qualités.

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10 mai 2006

Images je vous hais !



Je dis "image"... et aussitôt je me perds dans un mot sans frontières, dans un continent trop vaste où je m'égare. Image est un labyrinthe, un terme piège, d'une séduisante simplicité et d'une traitreuse complexité.

Parmi les nombreux déguisements de ce mot forcement pluriel, choisissons le plus simple. Quand je dis "image", ici et maintenant, à quoi est-ce que je pense d'abord ? A un objet technique, un support visuel, qui aujourd'hui se décline avec toujours plus de facilités pour toujours plus de spectateurs.
Alors balisons d'abord le terrain dans lequel se produit le geste artistique.

Est-il possible de réflechir à la notion d'image et à la nature de l'art sans rappeler que jamais l'humanité n'a autant produit et diffusé d'objets visuels ? Autrement dit, peut-on encore parler de l'image dans la peinture, par exemple, sans tenir compte du film Titanic ou des photos des top models ? Peut-on décrire l'image mentale en négligeant les affiches de nos rues et les sitcoms télé, les jeux vidéos et Walt Disney ? Je crois fondamentalement que non.

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